Brésil : le parcours du combattant des familles

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Maria Teresa dos Santos est la présidente de l’Association des amis et proches de personnes privées de liberté de l’État du Minas Gerais. Deux de ses fils ont été incarcérés. L’un d’eux se trouve actuellement assigné à résidence, en raison de la pandémie de Covid-19. Maria Teresa dos Santos est également coordinatrice du “Front pour la désincarcération du Minas Gerais“ (Frente Estadual pelo Desencarceramento).

Prison Insider s’est entretenu avec elle en septembre 2020.

Prison Insider: Les visites, la distribution de colis et l’échange de courriers sont courants entre les personnes détenues et leurs proches. Qu’est-ce qui a changé depuis le début de la pandémie ?

Maria Teresa: Les visites familiales, les visites conjugales et la distribution de colis aux détenus ont été suspendues en mars 2020, pour une durée de 30 jours. En avril, la suspension des visites a été prolongée de 30 jours. Les familles ont toutefois été autorisées à envoyer des colis contenant des produits d’hygiène personnelle. En mai 2020, quelques établissements pénitentiaires ont commencé à autoriser l’envoi d’articles qui étaient auparavant distribués via les colis. Mais la plupart des colis sont retournés. Plusieurs raisons à cela : les services postaux ont du retard, le colis contient un article non autorisé par la liste de l’administration ou bien la personne détenue est transférée sans que la famille n’en soit informée.  Parfois, le colis est retourné sans motif : l’agent qui le réceptionne décide simplement que ce jour-là il ne veut rien recevoir. Nous ne rencontrons pas toujours ce type de problème, mais les retours de colis sont très fréquents dans les prisons où les directeurs se moquent éperdument de ce qu’il se passe à l’intérieur. Et le secrétaire d’État à l’administration pénitentiaire n’a pris aucune mesure pour prévenir ces abus, malgré les nombreuses plaintes et lettres.

Les visites ont été suspendues pour éviter que le virus n’entre en prison, mais il a fini par y parvenir. Les délais de suspension des visites sont prolongés tous les 30 jours, lors d’une réunion qui rassemble le gouverneur, le secrétaire à la Sécurité publique, le chef de la Défense publique, le procureur général de l’État et le président du tribunal de justice. À aucun moment ces derniers ne recueillent l’avis des proches de détenus. Ce "Comité Covid" n’accueille ni proche de détenu, ni médecin.

L’administration pénitentiaire (le *DEPEN*) a commencé à organiser des visites virtuelles suite à de nombreuses plaintes. Les proches qui ne disposent pas d’une bonne connexion internet n’arrivent pas à recevoir ces appels vidéo. L’administration a préféré mettre en place un système très compliqué si bien que de nombreuses familles ne parviennent pas à télécharger l’application.

Une visite virtuelle, ce n’est pas une visite. Aucune intimité n’est offerte au détenu pour qu’il puisse parler avec ses proches : deux agents et un inspecteur technique de la prison restent à ses côtés. L’appel est interrompu à la moindre chose non autorisée que le détenu dit.  

Certaines familles s’aperçoivent que leur proche détenu pleure beaucoup pendant les appels. Les détenus disent aller bien mais il suffit d’entendre leur voix pour savoir que ce n’est pas le cas. Un parent avait remarqué que son fils avait un œil rouge. Il savait qu’il s’agissait de coups reçus au sein de la prison mais par appel vidéo, on ne peut rien faire pour eux.

En ces temps de pandémie, les lettres échangées entre les familles et les détenus ne sont pas non plus distribuées. Certains proches ont reçu ces derniers jours des lettres qui dataient de mars et avril 2020. Nous observons un manque d’intérêt de la part des autorités. Nous pensons également que de nombreuses lettres sont censurées ou retenue parce que les détenus font état d’actes de torture physique et psychologique, ou du manque d’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins.

Comme si cela ne suffisait pas, en pleine pandémie, les détenus sont transférés d’une ville à l’autre toutes les semaines, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’isolement. Ces transferts participent à la propagation du virus d’une prison à l’autre. Cela enfreint la loi sur l’exécution des peines, qui est pourtant claire : le détenu doit purger sa peine près de sa famille afin qu’il puisse recevoir l’assistance de cette dernière.  Des détenus sont pourtant envoyés loin de leurs familles.

PI: Face à ces difficultés, comment les familles ont-elles réussi à s’informer sur l’état de santé de leurs proches détenus et sur ce qu’il passe en prison ?

MTdS: Les informations concernant les personnes détenues nous parviennent de trois façons. La première, c’est à travers les avocats, quand ils réussissent à rentrer dans la prison pour voir leur client. Ces rencontres permettent d’évoquer ce qu’il se passe au sein de la prison, et parfois de transmettre un message d’un autre détenu à destination de sa famille. Certains établissements n’autorisent pas les avocats à entrer et les communications s’effectuent de manière virtuelle. La confidentialité des échanges n’est alors plus garantie et cela entrave l’accès aux informations. La communication vidéo n’est pas libre.

Nous obtenons aussi des informations via les détenus qui sont remis en liberté et qui sont en mesure de nous décrire la situation. Enfin, nous comptons également sur certains agents pénitentiaires qui ne sont pas d’accord avec les atrocités commises au sein du système et qui viennent nous parler.

PI: Que signifie l’entrée des familles et de la société civile en prison ? 

MTdS: Nous, familles des détenus, demandons à avoir des vraies visites, même s’il nous faut suivre un protocole conforme aux orientations de l’OMS. Il n’est plus possible de justifier leur suspension car tout est maintenant ouvert dans les villes : les bars, les magasins, les centres commerciaux… Cette suspension des visites a aggravé le nombre et l’ampleur des agressions physiques constatées. Lorsqu’un proche effectue une visite, il en ressort avec un récit de toutes les choses horribles qui se produisent au sein de la prison. Les visites familiales sont aussi nécessaires que les Conseils de communauté (*Conselhos da Comunidade*), le Ministère public, la Défense publique, les Commissions aux affaires carcérales et aux droits humains du Barreau. Autant d’instances qui peuvent entrer en détention, effectuer des contrôles et signaler aux autorités compétentes les atrocités commises à l’intérieur. Celles-ci sont considérables. Nous insistons sur ce point car ce sont les visites des proches ainsi que l’entrée de la société civile dans les prisons qui réduisent le nombre d’agressions physiques commises contre les détenus par les personnes qui devraient s’occuper d’eux.

Nous vivons une période complètement absurde où, au milieu de la pandémie de Covid-19, un directeur de prison décide d’obstruer les trous par lesquels entre l’air dans la cellule afin que le détenu n’ait pas de contact avec le monde extérieur. Parce que cette fenêtre, ce trou, permet au détenu, depuis sa cellule, de crier afin de communiquer avec ses proches qui sont à l’extérieur. C’est exactement ce qui s’est produit dans la prison d’Itaba.

J’ai vu des mères totalement désespérées par l’absence de nouvelles de leur fils. Pour nous, les mères, avoir un fils incarcéré est une douleur que personne ne peut comprendre. La société ne se sent pas responsable des actes que nos fils commettent en conflit avec la loi. Mais cette société ne nous regarde pas comme des femmes, comme des mères, comme des personnes qui ont de la tendresse et de l’affection, qui éprouvent de l’amour pour leurs enfants, et qui, comme des mères, ne les abandonnent pas.

Les autorités judiciaires restent muettes et inactives face à cette situation. Les procureurs et juges sont très forts lorsqu’il s’agit de demander la condamnation de garçons en conflit avec la loi. Mais ils n’ont soudainement pas le courage de s’adresser aux responsables politiques et pénitentiaires pour exiger le respect de la loi sur l’exécution des peines. Si une telle loi existe, le pouvoir judiciaire devrait veiller à son application. La justice exige le respect des devoirs des détenus, mais leurs droits sont totalement ignorés.

Nous avons un pouvoir judiciaire qui s’entête à condamner à des peines privatives de liberté les personnes issues des périphéries urbaines, les personnes noires. Nos procureurs et juges ne connaissent pas la prison et ne savent pas où ils envoient ces personnes. Chaque juge et chaque procureur devrait faire un stage en prison pour savoir ce qu’ils font avec les jeunes qu’ils enferment dans ce lieu. Un lieu de souffrances et de douleurs. Et la prison n’a pas été créée pour ça.

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