Angleterre et Pays de Galles : réformer les courtes peines, orientations à venir

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Helen Mills est responsable des programmes du Centre for Crime and Justice Studies (centre d'études criminelles et judiciaires). Helen se penche actuellement sur les chances de faire aboutir une réforme significative des peines dans le cadre du projet Short Prison Sentencing, financée par la Lloyds Bank Foundation d’Angleterre et du pays de Galles. Helen Mills aborde ici la question controversée des courtes peines.

Plaidoyer pour le changement

Recourir davantage aux peines exécutées en milieu ouvert qu’aux courtes peines de prison constitue un des axes de la réforme, fondé sur de nombreuses raisons : proportionnalité de la peine, prévention de la récidive, raisons éthiques , prise en compte de problèmes sous-jacents comme la toxicomanie, assurance de plus d’équité en particulier pour les femmes face à la justice pénale. Parmi d’autres considérations, l’optimisation des ressources, la pression supplémentaire que l’agitation entraînée par les courts séjours en prison fait peser sur les personnels, la vétusté croissante du parc pénitentiaire et les risques sanitaires qu’elle induit — risques mis en évidence par la pandémie.
Il est bien difficile de trouver un point de vue réellement positif sur les courtes peines. Et pourtant, il ne semble pas que nous soyons sur le point de les voir, en pratique, remises en cause. L’intérêt manifesté par le gouvernement pour une réforme des peines a connu son paroxysme à la fin de l’année 2019. Plus tôt dans l’année, le ministre de la Justice plaidait publiquement pour la création d’une présomption contre les courtes peines, voire pour leur interdiction. Mais, alors même que des propositions concrètes étaient sur le point de voir le jour, l’élection de Boris Johnson à la tête du Parti conservateur les ont balayé en un clin d’oeil.

Cette réforme, ayant pour objectif de réduire la part des peines privatives de liberté, ne figure plus dans les priorités politiques. C’est un signal décevant pour qui se préoccupe du recours actuel à l’emprisonnement en Angleterre et au pays de Galles. Je pourrais sans difficulté consacrer le temps qui me reste à un petit historique des réformes ayant eu pour ambition de réduire le nombre d’incarcérations ou de proposer des alternatives à la détention et qui se sont, en pratique, soldées par un échec.

Le rapport d’ICPR publié en 2021 fournit quelques éléments utiles à la compréhension des erreurs commises par le passé :

  • Le problème des courtes peines est indissociablement lié à celui des procédures appliquées aux personnes récidivistes et multirécidivistes.
  • Une réforme efficace requiert une clarification du seuil minimal au-dessus duquel un placement en détention est automatique, c’est-à-dire préciser les facteurs qui donnent lieu à une incarcération.

De ces deux éléments, aucun n’est facile à appréhender. En ce qui concerne la récidive, les propositions d’ICPR d’élaborer des critères plus stricts de prise en compte des condamnations préalables permettent de prendre le problème à bras-le-corps : en quoi sont-elles pertinentes ? À quel point sont-elles récentes ? Plus largement, nous devrions essayer de tirer les leçons des recherches effectuées sur la désistance pour mettre en place des réponses plus réalistes aux infractions à la loi.

En ce qui concerne le seuil minimal de placement en détention, il est absolument nécessaire de dépasser l’actuelle obligation légale, pour les magistrats, de ne prononcer des peines de prison ferme que si l’infraction est « si grave que ni l’amende ni la peine en milieu ouvert ne sauraient être justifiées. »

L’opacité de la notion de « gravité » et le flou quant à la signification de cette obligation, mis à part qu’elle laisse un certain nombre de choses à la discrétion du magistrat, sont au cœur des critiques de cette loi et de son échec manifeste à enrayer le recours aux courtes peines.

De la nécessité de solutions concrètes

Réformer le traitement de la récidive permettrait d’avancer quelque peu sur le chemin de la remise en cause du recours actuel aux courtes peines comme garde-fou face à l’échec ressenti des peines en milieu ouvert. Pour clarifier la question du seuil minimal, on pourrait également définir précisément les catégories d’infractions et les circonstances pour lesquelles une peine privative de liberté serait, en principe, inenvisageable, et illustrer les circonstances dans lesquelles, à son tour, la peine en milieu ouvert ne serait pas une mesure pertinente.

En Allemagne, la présomption contre les peines privatives de liberté inférieures à six mois existe depuis 1969. Elle impose aux magistrats deux évaluations avant de pouvoir prononcer une courte peine : ils doivent tout d’abord démontrer qu’une peine en milieu ouvert serait inefficace, puis qu’une courte incarcération remplirait mieux les objectifs de la condamnation (cf. Harrendorf, 2017). Il y a sans doute quelque chose à creuser de ce côté-là.

Il est intéressant de voir qu’ICPR, dans son rapport sur les condamnations, aborde le problème des condamnations préalables multiples et de leur incidence sur le seuil minimal. Le débat sur les courtes peines laisse de côté, depuis trop longtemps, ces problèmes pourtant très concrets pour se reposer à l’excès sur des « solutions » politiques techniques, comme la présomption, l’interdiction ou le moratoire.

Ce n’est pas une coïncidence si la présomption contre, le moratoire sur ou l’interdiction des courtes peines, qui n’ont pas permis d’éclaircir les procédures de prise en charge de la récidive légale, se sont montrés également décevants en termes de réduction du recours aux courtes peines (à ce sujet, voir l’analyse du professeur Cyrus Tata sur les conséquences limitées de la présomption contre les courtes peines en Écosse.)  

Les peines courtes sont-elles vraiment le problème ?

Affronter des problèmes concrets, comme la récidive et le seuil minimum, permettrait également de mieux résoudre un échec plus insidieux des tentatives de réforme des courtes peines. Tout manque de clarté quant aux problèmes particuliers que nous cherchons à résoudre par la réforme, comme l’importance accordée aux condamnations préalables, risque de laisser à penser que les peines courtes sont le problème, ce qui laisse de côté les peines plus longues ou, pire, mène à croire qu’elles constituent la « véritable » solution aux infractions « graves ».

En réalité, le recours accru aux peines de privation de liberté de plus de 12 mois est un facteur central de la croissance récente de la population carcérale. Le recours aux courtes peines diminue de façon proportionnelle à l’augmentation du recours aux peines plus longues. En 2019, 64 % de l’ensemble des peines privatives de liberté étaient de 12 mois ou moins, contre 70 % dix ans auparavant.

L’augmentation du nombre de peines plus longues ne semble pas, en Angleterre et au pays de Galles, être vouée au déclin. Il est même vraisemblable qu’il gagnera en importance, au vu des réformes actuellement devant le Parlement dans le cadre du projet de loi sur la police, le crime, les peines et les tribunaux (Police, Crime, Sentencing and Courts Bill).

Il faudrait donc, peut-être, plaider en faveur d’un plus grand nombre de courtes peines, si elles sont prononcées en lieu et place de peines plus longues ? À l’occasion d’un récent webinaire au Centre d’études criminelles et judiciaires, la professeure Sarah Armstrong a présenté divers pays, comme la Norvège, ayant fréquemment recours aux courtes peines, et relativement peu aux longues peines. Pour elle, la question était de savoir si les courtes peines pouvaient « être quelque chose que nous tolérons et soutenons, pour maintenir un seuil bas, afin que le plafond ne s’élève pas davantage ? »*

* à environ 44’30’’ de la vidéo

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