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Partout, la privation de liberté est employée comme réponse à certaines formes de comportements illégaux. Mais, d’un pays à l’autre, on note de grandes différences quant aux types de comportements illégaux perçus comme méritant une peine privative de liberté (plutôt qu’une peine alternative à l’emprisonnement) et à la durée des peines prononcées.
La tendance est assez clairement, depuis plusieurs décennies, centrée sur un durcissement des peines. L’incarcération est devenue une peine de plus en plus facile à prononcer et pour des durées plus longues. La dureté des condamnations explique de façon évidente le nombre croissant de prisonniers, mais ne résout aucun des complexes problèmes sous-jacents à l’origine du passage à l’acte et de la récidive.
D’un pays à un autre, les mêmes faits ne produisent pas les mêmes condamnations. Ces différences montrent que, si chaque pays est confronté à des dilemmes similaires face aux comportements illégaux de ses habitants, les choix politiques qui doivent y apporter des réponses sont très variables.
Infractions liées à la drogue
Plus de deux millions de personnes sont détenues dans le monde entier pour des infractions liées à la drogue (dont la possession pour usage personnel). Un tiers environ des femmes détenues le sont pour des infractions de ce type. Ces deux millions de prisonniers auront, pour la plupart, joué un rôle mineur, aisément remplaçable, pour un gain dérisoire, au sein des réseaux criminels ; beaucoup ont été arrêtés pour la simple possession de stupéfiants destinés à leur usage personnel.
L’usage excessif de l’emprisonnement pour des infractions liées à la drogue n’a posé aucun problème aux fournisseurs, pas plus qu’il n’a fait baisser l’usage des drogues. En revanche, il représente un lourd fardeau pour les systèmes de justice pénale. L’approche répressive adoptée par nombre de lois a exacerbé les problèmes socio-économiques des communautés fortement touchées par la pauvreté, le chômage et les addictions.
La sévérité de l’appareil judiciaire n’est pas pour autant la réponse universelle aux infractions liées à la drogue. Une approche fondée sur les soins est de plus en plus plébiscitée, inscrite ou non au sein du système de justice pénale. Des peines plus indulgentes et un mouvement de décriminalisation se constatent dans les approches d’un grand nombre de pays. Nos recommandations quant à la réforme pénale pour les infractions liées aux drogues s’orientent vers une approche plus raisonnée.
Condamnations préalables
La croissance de la population carcérale est alimentée par l’incarcération de grands nombres d’infracteurs multiples, mais, la plupart du temps, reconnus coupables de faits relativement peu graves et non violents.
Presque partout, la loi dispose qu’un infracteur ayant été déjà condamné doit être plus sévèrement condamné. La logique est double : un récidiviste est perçu comme plus coupable, n’ayant pas correctement réagi aux condamnations précédentes ; et il est plus susceptible de récidiver encore, d’où la nécessité d’une condamnation plus dure pour prévenir ce risque. Cette logique a souvent pour conséquence le prononcé d’une peine privative de liberté là où, sans un tel passé, une peine non privative de liberté aurait été proposée.
Il est évident que l’effet positif de l’emprisonnement sur des personnes multirécidivistes est limité, au-delà de son strict effet immédiat. Il s’avère difficile, dans un environnement carcéral, de résoudre les problèmes à la racine de la récidive multiple, par exemple l’addiction. Surtout, la prison aggrave souvent le risque de récidive, puisqu’elle limite les options de la personne condamnée, qui a de moins en moins à perdre. Nos recommandations quant à la condamnation de personnes préalablement condamnées sont centrées sur une approche plus équitable et réaliste.
Peines courtes
Les séjours de courte durée en prison bouleversent une existence et n’offrent que rarement la perspective d’interventions constructives visant à remédier aux causes du passage à l’acte. On utilise souvent de telles peines comme réponse à la récidive. Dans les pays offrant un nombre limité de peines non privatives de liberté, elles sont fréquemment utilisées contre des personnes accusées d’infractions mineures, y compris des primo-infracteurs. Certaines personnes se retrouvent ainsi incarcérées pour des semaines, voire des mois, parce qu’elles n’ont pas eu les moyens de payer une amende ou d’engager un avocat pour assurer leur défense.
Nos recommandations visent à prévenir le recours disproportionné aux courtes peines et à créer l’espace nécessaire à la mise en œuvre d’approches alternatives.
Perpétuité
Près d’un demi-million des 11 millions de personnes détenues dans le monde exécutent, sous une forme ou une autre, une peine à perpétuité. Cela signifie que l’État a le pouvoir de les maintenir en prison jusqu’à leur mort. Dans certains pays, la prison à perpétuité est obligatoire pour certaines infractions.
Le recours à la perpétuité a connu un essor spectaculaire dans certains pays au cours des dernières années, reflet d’une augmentation du nombre d’infractions pour lesquelles elle peut, ou doit, être prononcée. Il s’agit, dans l’ensemble, du résultat de courses politiques à la loi et l’ordre. Cependant, dans certains pays, comme le Brésil, la perpétuité n’existe pas. Dans d’autres, leur prononcé n’est qu’exceptionnel : ainsi, aux Pays-Bas, une personne condamnée pour meurtre est bien plus susceptible de se voir condamner à une peine pouvant aller jusqu’à douze ans, suivie d’une période de traitement psychiatrique obligatoire (s’il est reconnu qu’elle souffre d’un trouble psychique guérissable).
La perpétuité, tout particulièrement lorsqu’elle est assortie d’une période de sûreté excessive ou d’une impossibilité d’aménagement de peine, est largement perçue comme inhumaine. L’emprisonnement sans fin, marqué par l’incertitude ou l’impossibilité d’une libération éventuelle et l’absence d’espoir, a un effet très lourd sur la santé psychique. Nous recommandons la réduction du recours à la perpétuité, la suppression de la perpétuité en tant que peine obligatoire, et la focalisation sur la proportionnalité comme principe fondamental de la condamnation pour les infractions les plus graves, dont l’homicide.