Les tendances de l’incarcération

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Les dernières décennies ont vu croître, rapidement et régulièrement, le nombre de personnes détenues dans le monde. Aujourd’hui, la planète compte plus de 11 millions de personnes incarcérées. Parmi elles, plus de trois millions se trouvent en détention provisoire.   

Si les causes de cette croissance de la population carcérale mondiale sont complexes, les conséquences sont limpides : établissements surpeuplés, conditions de détention inhumaines et en détérioration. La plupart des systèmes pénitentiaires du monde sont, d’après leurs propres estimations de leur capacité d’accueil, surpeuplés. La surpopulation a des conséquences sur la santé psychique et somatique des prisonniers, sur leur sécurité comme sur celle des personnels et sur les perspectives de réinsertion. Les Philippines connaissent un taux d’occupation moyen de 460 %, Haïti de 450 % et le Guatemala de 370 %. Tous trois figurent parmi les pays comptant certains des établissements les plus surpeuplés au monde.  

Le recours excessif à l’incarcération représente un coût énorme pour les contribuables, tout en ayant un impact absolument disproportionné, dans toutes les sociétés, sur les populations les plus pauvres et marginalisées. Il remet en cause la capacité des systèmes pénitentiaires à prendre efficacement en charge la petite minorité de prisonniers qui représenteraient un risque important pour la sécurité publique. 

Population carcérale : chiffres, proportions et tendance dans les dix pays étudiés 

Les dix pays du projet présentent des chiffres variés quant à leur population carcérale : voir Figure 1. La population carcérale des États-Unis est la plus importante au monde : plus de deux millions de prisonniers. Ce nombre revient à un taux d’incarcération (le nombre de prisonniers pour 100 000 habitants) de 639, là encore, le plus élevé au monde. En Thaïlande, le taux d’incarcération de 459, soit quelque 320 000 personnes détenues, est le huitième le plus élevé au monde ; les prisons thaïlandaises sont également gravement surpeuplées, avec un taux d’occupation de 340 %.   

L’Inde, quant à elle, compte un grand nombre de prisonniers : près d’un demi-million, mais son taux d’incarcération, 35, est extrêmement faible, ce qui place le pays en 209e position sur les 223 pays du  classement du World Prison Brief. Autre fait notable : en Inde, près de 70 % des personnes détenues sont en détention provisoire. Les taux d’incarcération des Pays-Bas (63) et du Kenya (81) sont eux aussi relativement faibles.  

Parmi les dix pays étudiés, certains ont vu leur population carcérale croître de façon spectaculaire au cours des 40 ou 50 dernières années. La population carcérale des États-Unis a été multipliée par plus de quatre, de près d’un demi-million en 1980 à un pic à plus 2,3 millions en 2008, pour un taux d’incarcération passant de 220 à 775. Au Brésil, la population carcérale a été multipliée par vingt, de 30 000 personnes détenues à plus de 750 000 aujourd’hui. Le taux d’incarcération est, sur cette période, passé de 32 à 357.  

Les tendances de la Figure 2 montrent cependant que cette croissance de la population carcérale n’a rien d’inévitable. Les Pays-Bas ont eux aussi connu une augmentation de leur population carcérale au cours des années 1990 et au début des années 2000, avant de la voir baisser de façon marquée. La croissance exponentielle de la population carcérale aux États-Unis a elle aussi commencé à s’inverser, et, au Brésil, la courbe semble atteindre un plateau.  

Comprendre les motifs et les tendances de l’emprisonnement 

Les variations des chiffres relatifs à la population carcérale ne s’expliquent pas par un facteur unique. Nous le montrons dans la première publication résultant du projet d’étude des dix pays, Prison: Evidence of its use and over-use from around the world, ‘(“La prison : usage et recours excessif à travers le monde“). À tout endroit et à tout moment, la population carcérale est déterminée par un ensemble complexe de facteurs, comme le montre la Figure 3. 

Les facteurs qui mènent à l’augmentation de la population carcérale mêlent une culture et des débats politiques de plus en plus orientés vers une approche punitive de la justice ; une définition plus large des comportements perçus comme « criminels » ; des politiques plus répressives ; des pratiques criminelles en mutation. Ces facteurs cumulés peuvent amener davantage de personnes devant les tribunaux, lesquels, à leur tour, sont plus susceptibles de prononcer à leur encontre des peines privatives de liberté. La hausse des placements en détention provisoire est une autre manifestation de ces politiques pénales punitives. Elle reflète également le manque de ressources, l’engorgement des tribunaux et les impasses des parcours judiciaires.  

S’il existe de nombreux facteurs directs ou indirects qui entraînent un plus grand recours à l’emprisonnement, il existe également des incitations à modérer cet usage. Dans les pays les plus riches comme ailleurs, ces pressions à la baisse comprennent la contrainte en termes de ressources, pour la simple raison que la prison coûte cher. Les échecs de la privation de la liberté comme réponse aux problèmes de société sont de plus en plus reconnus ; il est de plus en plus admis que ces problèmes trouvent mieux leur réponse hors du champ pénal. Et, ouvertement ou non, pour des raisons économiques ou non, certains États ont effectué des choix politiques menant à une diminution du recours à l’incarcération. 

La pandémie de Covid-19 s’est ajoutée aux pressions visant à entamer une réforme pénale et une logique de désincarcération. Certains pays ont pris des mesures drastiques de réduction de la population carcérale, afin de réduire le risque sanitaire lié à la surpopulation. Il reste à voir comment ces mesures perdureront. 

Des possibilités de réforme 

Tout comme les différences d’approche du recours à l’emprisonnement entre différents pays ne s’explique pas simplement, le chemin vers une réforme efficace n’est pas tout tracé. Mais il est évident que certains problèmes de fond devront être abordés si l’on veut donner à une éventuelle réforme la moindre chance de succès. Les priorités stratégiques fondamentales comprennent : 

  • L’identification des fonctions et des limites de l’incarcération ; 
  • La réduction de la politisation des jugements ; 
  • La décriminalisation des infractions mineures et des "incivilités" ; 
  • L’identification et la correction des traitements inégalitaires à l’égard des groupes marginalisés dans le processus de condamnation et de détention provisoire ; 
  • La réforme des politiques antidrogue, la décriminalisation et le recours à la réduction des risques ; 
  • La garantie du recours à la détention provisoire en dernier ressort uniquement, pour une durée la plus brève possible ; 
  • La prise en compte des conséquences pour la santé publique du recours excessif à l’emprisonnement. 

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